Quand les sucreries de France
entrent en « intercampagne »

La vie des sucreries s’arrête-t-elle à la fin de la campagne sucrière ? Que se passe-t-il au sein de ces imposants sites industriels lorsque les chaufferies s’éteignent et que les derniers panaches de vapeur d’eau se dispersent à l’horizon ? Bienvenue dans les coulisses d’une « cité » qui ne dort jamais…

Une industrie de gros volumes et techniquement complexe

On connaît bien la campagne sucrière, séquence emblématique de la filière betterave-sucre française. Le défi de cette course contre la montre consiste à extraire le plus vite possible le sucre contenu dans les racines de betteraves sucrières car leur richesse en sucre décroît progressivement après la récolte. Cette période d’intense activité débute dès l’arrachage des premières betteraves – en septembre ou octobre selon les régions et les conditions météorologiques de l’année – puis s’achève en janvier lorsque les dernières racines livrées à la sucrerie ont rejoint les ateliers du procédé sucrier.

En revanche on ignore souvent ce qui se joue entre deux campagnes. Pourtant, mettre en ordre de marche une sucrerie et faire en sorte que l’outil reste fiable et performant alors qu’il tourne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 quand la campagne bat son plein n’est pas une mince affaire. Tout commence dès la fin de la campagne précédente avec un nettoyage complet du site qui donne lieu à un examen minutieux du matériel en vue d’en préparer l’entretien, la maintenance et la remise en état.

Sur des équipements industriels d’une telle envergure, organisés sur plusieurs niveaux, dotés de machines lourdes et techniquement complexes, l’opération est une affaire de spécialistes. Tous les collaborateurs hier occupés à la production du sucre se mettent à l’ouvrage en mobilisant leur propre expertise technique pour ausculter, bichonner et intervenir sur les lavoirs, tapis roulants, canalisations, cylindres de diffusion, cuiseurs de cristallisation et évaporateurs sous pression, turbines et séchoirs, machines et lignes de conditionnement, circuits électriques, réseaux informatiques…

Des sites à la pointe de l’industrie sucrière en Europe

La « double compétence » est l’une des grandes caractéristiques de l’industrie sucrière. Opérateur du process sucrier pendant la campagne, chaque collaborateur retourne à son autre métier pour l’intercampagne : mécanicien, chaudronnier, ajusteur, électricien, électronicien, maçon… (Lire ici notre article à ce sujet) « Rares sont les secteurs d’activité offrant la possibilité d’avoir deux métiers, deux spécialités techniques, deux rythmes de travail différents mais complémentaires, confirme Arnaud Marette, chef de Secteur usine à la sucrerie Saint Louis Sucre de Roye (Somme). L’intercampagne est rythmée par une succession d’échéances qui conditionnent le démarrage de la campagne suivante, et l’efficacité des travaux de maintenance élimine de nombreuses pannes en cours d’exploitation. »

Mécaniciens à la sucrerie Lesaffre de Nangis (à gauche) et électriciens à la sucrerie Ouvré de Souppes ( à droite) ©Franck Dunouau

De plus, une partie importante des opérations d’entretien et de réparationest réalisée en interne, « c’est pourquoi il est si important de maintenir un haut niveau de compétences pour toutes nos équipes, souligne Pascal Hamon, directeur industriel du groupe Cristal Union. L’intercampagne est donc une période propice au transfert de compétences et à la formation de nos collaborateurs. » Conséquence directe, le niveau de technicité des salariés du secteur sucrier est une réalité reconnue comme telle dans le monde industriel. Mais les enjeux vont encore plus loin.

Comme l’explique Rémi Aubry, responsable du pôle Process industriels et Environnement du Syndicat national des fabricants de sucre (SNFS), « l’état des lieux et la remise en état sont le premier palier d’un processus de mise à niveau permanent qui engage l’outil industriel dans une vision à long terme. Au-delà des interventions dédiées à l’optimisation de la performance industrielle et à la réussite de la prochaine campagne, les intercampagnes sont autant d’occasion de renouvellement et d’implantation d’équipements portés par des investissements lourds. Ces efforts de modernisation font que nos sucreries, même les plus anciennes, sont sans doute les plus en pointe au niveau technologique en Europe. »

Des investissements constants et structurants

Par exemple, l’installation d’un nouveau lavoir – atelier qui recouvre tout une série d’outils interdépendants – s’étale sur toute l’intercampagne, comme c’est le cas à la sucrerie Lesaffre de Nangis, en Seine-et-Marne. Pour se faire une idée et quelle que soit la sucrerie, la simple rénovation d’un outil servant à éliminer la terre et les éléments minéraux collés aux racines de betterave (épierreur) représente à elle seule un budget de 200 000 euros. Ou encore, le remplacement de pièces vitales sur un diffuseur (énorme cylindre dans lequel le sucre est extrait des betteraves) peut atteindre les 800 000 euros. À la sucrerie de Sainte-Emilie (Somme), Cristal Union a lancé cette année la construction d’une nouvelle unité de séchage indirect des pulpes de betteraves fonctionnant en synergie avec les flux de vapeurs issus de la sucrerie. La pleine valorisation de la vapeur permettra ainsi de réaliser des économies d’énergie tout en réduisant de 90 % les émissions de CO2.

Autre exemple, la sucrerie Tereos de Boiry-Sainte-Rictrude (Pas-de-Calais) met à profit l’intercampagne 2023 pour construire un nouveau bâtiment et remplacer les filtres d’épuration par des modèles plus performants, basés sur une nouvelle technologie. « Ces équipements permettront une réduction de la consommation d’énergie du site dès la prochaine campagne, précise Jean-Philippe Level, chef du projet Filtres du site. C’est un challenge à réaliser en un temps record qui s’inscrit dans nos actions de maîtrise des énergies et de valorisation des ressources,particulièrement de l’eau, qui sont totalement en ligne avec les engagements de notre groupe coopératif. »

La performance énergétique est une priorité absolue

Effectivement, outre les équipements directement dédiés à l’extraction du sucre de betterave, les investissements des acteurs de l’industrie sucrière se tournent en priorité vers les technologies visant à améliorer l’efficience énergétique et à réduire et les émissions de gaz à effet de serre. Ainsi que le détaille Pascal Hamon, « l’intercampagne est une période importante pour mettre en œuvre notre stratégie de décarbonation et d’autonomie énergétique. Nous avons à cet effet des objectifs concrets, chiffrés et validés par le référentiel international Science Based Targets Initiatives (STBI), en termes de consommation d’énergie, d’émissions de CO2 et de gestion de l’eau… À chaque intercampagne nous nous employons à avancer vers ces objectifs en réalisant de nouvelles séquences d’investissements. » Autrement dit, l’intercampagne n’est rien moins qu’une fenêtre de tir stratégique pour transformer l’outil industriel et préparer l’avenir…

À l’épreuve des faits, l’idée n’a rien d’utopique. Il est vrai que la production sucrière est historiquement une industrie fortement consommatrice d’énergies primaires. Mais ses procédés et ses investissements ouvrent des marges de progression peu communes en termes de cogénération et de circularité : eau, vapeur d’eau, électricité, biomasse… Et lorsqu’ils n’extraient pas le sucre blanc de betterave, les sucriers se consacrent à cet objectif tout le reste de l’année. Tout simplement parce que quand nous dégustons notre dessert en famille ou entre amis, une sucrerie ne s’endort jamais.

 

Des campagnes hors campagne

L’extraction du sucre est un exercice en flux tendu mais les sucreries transforment également labetterave en produits stockables qui constituent des réserves stratégiques : sirops, mélasses… Ces matières premières peuvent être utilisées par les distilleries pour produire des alcools (alcool éthylique) ou être cristallisées pendant l’intercampagne afin de produire du sucre de consommation : on appelle cela les « campagnes sirop (campagne de cristallisation) ». Cette activité « hors campagne » permet d’adapter la production aux demandes du marché tout au long de l’année.

 

Photo illustration : Sucrerie Ouvré (Souppes-sur-Loing) – © Franck Dunouau

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