Le procédé de fabrication du sucre se déroule en plusieurs étapes permettant d’éliminer successivement tous les composants de la plante sucrière jusqu’à isoler les cristaux de sucre. Ces opérations s’effectuent dans des ateliers spécialisés, et chacune d’entre elles nécessite un savoir-faire particulier.
À la sucrerie de Fontaine-le-Dun (Seine-Maritime), François Karp supervise la partie « arrière » de l’usine, qui va de la cristallisation jusqu’au séchage et au stockage du sucre. L’atelier cristallisation et ses conducteurs de cristallisation « premier jet » sont, à ce titre, placés sous sa responsabilité. Entré à la sucrerie à l’âge de dix-huit ans avec un BEP de mécanique auto, il y a exercé plusieurs métiers d’intercampagne (robinetterie industrielle, appareils à pression…) et a été formé au procédé sucrier en étant affecté à différents ateliers (turbines d’essorage, cristallisation 2e et 3e jets...).
Cette expérience lui a permis d’accéder, après plusieurs campagnes sucrières, à la fonction clé de conducteur de cristallisation, puis à celle d’adjoint au chef de poste grâce à l’obtention d’un Certificat de qualification professionnelle.
Depuis le poste de contrôle aux larges baies vitrées, il veille sur les six « cuites » de l’usine, semblables à d’immenses cocottes-minute de 400 hl où l’on voit, à travers des hublots, le sirop de betterave doucement bouillonner. C’est à cette étape que se forment les cristaux de sucre qui, au terme du procédé sucrier, s’offrent sous leur forme naturellement blanche, tels qu’ils ont été formés au sein de la plante.
Tout aussi naturelle qu’elle soit, cette transformation n’a rien de simple, et le métier de conducteur de cristallisation nécessite autant de connaissances en physique, chimie et techniques sucrières que de savoir-faire. « La conduite de la cristallisation se déroule en quatre étapes, détaille François Karp. Tout d’abord, le démarrage, qui consiste à alimenter la cuite en sirop. Vient ensuite le grainage, moment déterminant où l’on ensemence le sirop avec un mélange de sucre broyé finement comme du sucre glace et d’alcool (on utilise un alcool car avec de l’eau, les cristaux se dilueraient instantanément).
C’est alors que commence la phase de montée : chaque microcristal de la semence se met à grossir pour arriver à la taille demandée dans le cahier des charges du client. Enfin, le processus se termine par l’étape dite de "serrage". »
Un « brix » sous haute surveillance
Dans le langage des sucriers, la granulométrie des cristaux de sucre est qualifiée "d’ouverture", par exemple le sucre cristallisé que l’on trouve dans le commerce a une ouverture moyenne de 0,45 à 0,60 millimètres. Autre concept fondamental du métier, le « brix » est l’unité de mesure de la concentration en matières sèches (sucres et non sucres) du sirop. Lors du démarrage, le sirop est généralement à 79 brix et la cristallisation s’achève lorsqu’il atteint 90 brix. « On procède alors au serrage : on arrête d’alimenter la cuite en sirop et on évacue la masse cuite vers des malaxeurs qui vont l’homogénéiser avant de passer aux turbines d’essorage », précise François Karp.
La conduite et le suivi de toutes ces opérations s’effectuent au niveau des écrans informatiques et du tableau de cyclage disposés dans la salle de contrôle, à l’exception de l’ensemencement et, bien sûr, des interventions techniques qui conduisent l’opérateur à se rendre auprès des cuites.
Comme l’explique François Karp, « la conduite de cristallisation nécessite une attention permanente et une grande concentration car il faut avoir l’œil sur de multiples paramètres : la température (environ 80°C), la pression intérieure (car la cuisson s’effectue sous vide), le niveau des bacs de sirops qui alimentent la cuite et, tout particulièrement, la pression de la vapeur qui influe sur la montée de la cuite et le débit, donc sur la productivité ! » Sans oublier les prélèvements à transmettre au laboratoire pour analyses et la consignation de tous les faits et gestes sur des formulaires qui intégreront la chaîne de traçabilité du produit.
Pour mener à bien toutes ces missions, le responsable d’atelier et son « cuiseur » ne sont pas trop de deux car la moindre anomalie doit faire immédiatement l’objet d’actions correctrices appropriées. « Nous avons la responsabilité du produit et de la cadence, car dans un procédé en continu comme le nôtre, le rythme de l’atelier conditionne le rythme de toute l’usine », rappelle Clément Dumoutier, le conducteur de cristallisation qui travaille au côté de François Karp.
Ainsi, à la cristallisation comme dans les autres ateliers, le travail d’équipe est une valeur majeure de la vie en sucrerie. La puissance de l’outil industriel et les mesures de sécurité qu’il impose, l’approvisionnement massif et continu en betteraves, la nécessaire fluidité du déroulement des opérations successives et l’exigence de réactivité devant les aléas techniques sont autant de défis quotidiens qui ont fait émerger dans les métiers de l’industrie sucrière une réelle culture de collaboration transversale et de solidarité.
Ainsi, François Karp est régulièrement amené à solliciter certaines compétences pour réaliser des interventions techniques (électricité, mécanique, pression…). En quelques instants, les opérateurs présents sur le site endossent leur métier d’intercampagne pour venir en aide à l’atelier en difficulté. « C’est un métier où l’on en pas le temps de s’ennuyer ! Le plaisir de voir naître le produit, la diversité des tâches et toutes les compétences à maîtriser pour conduire le procédé sucrier le rendent passionnant. C’est peut-être pour cela que l’on dit "entrer en sucrerie"… », conclut François Karp en levant les bras vers le halo de vapeur qui serpente dans les hauteurs de l’atelier.
Les métiers du sucre
Cette série d’articles propose de découvrir les principaux ateliers et métiers de la fabrication du sucre de betterave à travers quatre portraits de professionnels : Responsable Cour-Lavage, Conducteur de Diffusion, Conducteur de Cristallisation, Responsable Conditionnement.