Comment les gels hydroalcooliques ont accédé
au statut
de ressource stratégique...

Comment les gels hydroalcooliques ont accédé au statut de ressource stratégique...

avril 2023

Bien que le pic épidémique de Covid-19 soit derrière nous, l’utilisation de gels hydroalcooliques reste un geste d’hygiène et de protection présent au quotidien. La France, grâce à sa production d’alcool agricole, est en mesure de répondre sans fléchir à ce besoin, tout comme cela a été le cas au plus fort de la crise. Retour sur un levier de souveraineté sanitaire.

Le jour où les gels devinrent une « cause nationale »

Avec la mise en place des gestes barrières à partir de mars 2020, la demande de gels et solutions hydroalcooliques s’est littéralement envolée, appelant une mobilisation massive de l’alcool éthylique produit en France vers cette utilisation. (Les gels sont composés d’un mélange d’alcool à 60°, qui donne les propriétés virucides et bactéricides, et d’un agent hydratant tel que la glycérine.) Comme l’a alors souligné le Président de la République, « nous avons décuplé notre production, passant de 40 000 litres par jour à 500 000 litres/jour, et l’ensemble des industriels et fabricants se sont mobilisés de manière exceptionnelle pour produire et apporter ces gels. » (Source : BFM TV, 31 mars 2020)

De fait, la ruée sur ces produits devenus de première nécessité a été accompagnée par une dynamique d’engagement et de solidarité aussi inédite que spontanée. Au-delà des opérateurs historiques, de multiples acteurs privés et publics se sont activés pour assurer les approvisionnements. Hôpitaux et centres de soins, pharmaciens et laboratoires, parfumeurs et entreprises de cosmétiques, fabricants de produits d’entretien, embouteilleurs… Nombreux sont ceux qui, à échelle locale ou nationale, se sont mis à assembler et conditionner des gels hydroalcooliques à partir de l’alcool éthylique livré chaque jour par les industries de la distillation.

Une production d’alcool réorientée en un temps record

De même, les pouvoirs publics se sont joints au mouvement. « L’impulsion politique et l’action du ministère de l’Économie et des Finances avec l’appui des administrations concernées – tout particulièrement des Douanes et du ministère de l’Environnement – ont été décisifs, se souvient Sylvain Demoures, directeur général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). La nécessité de protéger la population nous a conduit à réorganiser rapidement les distilleries pour orienter vers ce débouché la production de l’alcool destiné aux carburants ou à d’autres usages (boissons, parfums…). Mais pour ce faire, il fallait des autorisations spécifiques car le marché de l’alcool est très rigoureusement réglementé. »

En effet, l’alcool de qualité pharmaceutique est un alcool « dénaturé », rendu impropre à la consommation alimentaire par l’ajout de substances dénaturantes réglementées, ce qui représente une opération supplémentaire. « Le fait d’avoir obtenu une dispense ponctuelle de dénaturation a permis de gagner un temps précieux pour augmenter les flux de sortie », confirme Sylvain Demoures.

Une production leader et 100 % made in France

Bon nombre de personnes ont alors découvert que la France disposait d’un outil industriel capable de produire la substance active des gels hydroalcooliques et des produits de désinfection des surfaces, à savoir l’alcool éthylique. Cet alcool exclusivement d’origine agricole provient à la fois de la betterave sucrière et de céréales (blé, maïs).

Or, la France est le premier producteur européen de cette ressource plus que jamais stratégique. Grâce à 11 distilleries implantées sur le territoire métropolitain, elle produit chaque année entre 1,6 et 1,8  milliard de litres d’alcool éthylique, soit près du quart des volumes distillés au sein de l’Union européenne. Ses principaux débouchés sont à 60 % le bioéthanol entrant dans la composition des essences (SP95, SP98, SP95-E10, E85) et, à 40 %, les utilisations traditionnelles : parfums et cosmétiques (qui portent à l’export la griffe du luxe « à la française »), boissons, vinaigres, industries chimiques et pharmaceutiques, combustibles…

Les gels hydroalcooliques font partie du quotidien

À l’issue des périodes de confinement qui avaient inévitablement redistribué les priorités (moins de carburants, plus de produits de protection sanitaire), la production d’alcool dédiée aux gels et solutions hydroalcooliques s’est naturellement stabilisée. Ainsi, après avoir été multipliée par dix au plus fort de la pandémie, elle s’établit aujourd’hui à un niveau au moins deux fois supérieur à l’avant-crise. « C’est devenu un débouché à part entière, confirme Ernst Van Der Linden, directeur commercial Alcool de Cristalco, filiale du groupe sucrier Cristal Union. Les gestes barrières sont devenus un réflexe pour se protéger de la grippe saisonnière, des gastro-entérites... et des nouveaux virus. »

Partageant ce constat, le groupe Tereos, a lancé en 2021 sa propre gamme, Gel Hydro®, destinée aux entreprises et collectivités. « Cette nouvelle gamme est intégralement fabriquée en France à partir de l’alcool surfin issu des betteraves sucrières auquel est ajouté de la glycérine. Elle valorise la production de notre groupe coopératif », a souligné Tereos lors du lancement. Une précision importante dans la mesure où l’origine France est aujourd’hui une indication précieuse pour les utilisateurs.

« Soft power » et souveraineté industrielle

Tout au long de la crise sanitaire, la France n’a jamais eu besoin de recourir aux importations pour servir la totalité de la demande intérieure. « Nous avons même été en capacité de servir des marchés extérieurs, en Europe, au Proche et Moyen Orient ainsi qu’en Asie du Sud-Est, rappelle Ernst Van Der Linden. Plusieurs ambassades nous ont envoyé des messages de remerciements, ce qui rejaillit positivement sur l’image de la France. » La crise sanitaire aurait-elle fait du gel hydroalcoolique un outil de soft power ? Dans les faits, l’idée va bien au-delà du produit.

« La situation de crise a démontré la dimension stratégique de notre filière, et la conjoncture actuelle le confirme sur tous les plans, résume Sylvain Demoures. Notre capacité à orienter la production selon les besoins, en plus ou en moins, vers ses débouchés alimentaires (sucre, amidon) et non alimentaires (bioéthanol, gels hydroalcooliques, alcools traditionnels), tout en approvisionnant la nutrition animale (pulpes de betteraves, drêches de céréales), est un levier de souveraineté à la fois sanitaire, énergétique et alimentaire pour notre pays. »

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