Avril 2024
Certains individus tentent de restreindre leur prise alimentaire afin de contrôler leur poids. Si ce trait psychologique permet aux mangeurs restreints de limiter les excès alimentaires dans certains contextes, d’autres contextes semblent en revanche propices à leur faire dépasser les limites qu’ils s’imposent. Explications à travers les résultats d’une étude américaine menée en laboratoire auprès d’étudiants universitaires.
Chaud ou froid : deux systèmes de contrôle cognitif complémentaires
La restriction alimentaire est considérée comme étant sous la coupole de processus cognitifs. Or ceux-ci sont connus pour faire intervenir deux systèmes d’auto-contrôle :
-
un système dit froid, qui désigne le système de réflexion lent basé sur les pensées conscientes, délibérées, réfléchies ;
- et un système dit chaud qui est automatique, rapide et inconscient.
La situation dans laquelle se trouve le mangeur pourrait activer préférentiellement l’un ou l’autre système. Des chercheurs ont ainsi fait l’hypothèse suivante : selon le contexte et donc le système activé, les mangeurs restreints pourraient adopter des comportements différents.
Des contextes à même d’induire l’un ou l’autre système d’auto-contrôle.
Pour tester cette hypothèse, 241 étudiants ont été invités à participer à une expérience au laboratoire, selon le déroulé suivant :
- Les chercheurs ont préalablement mesuré le degré de restriction alimentaire des participants, par un questionnaire validé, évaluant les préoccupations liées au poids et la tendance à restreindre la prise alimentaire.
- Pour susciter expérimentalement l’activation de l’un ou l’autre système d’auto-contrôle, deux situations ont été créées :
- Il était d’abord demandé aux étudiants de sélectionner (sur écran d’ordinateur, parmi un pool d’aliments) tous les aliments nécessaires à l’élaboration de "repas sains" pour 24 h. Ils pouvaient prendre tout le temps qu’ils jugeaient nécessaire pour cela ; l’objectif était ici de laisser s’exprimer le système froid.
- Au sortir de la salle, on demandait aux participants de choisir dans un temps bref et imparti un snack en guise de récompense pour leur participation à l’étude (barre granola, raisins secs ou chips cuites au four vs bonbons, barre au chocolat ou gâteaux apéritifs). L’objectif était alors d’activer le système chaud.
- Les calories sélectionnées lors des deux tests étaient mesurées.
L’objectif était de comparer les choix caloriques réalisés selon le niveau de restriction alimentaire des participants, dans chacune des situations et donc selon le système d’auto-contrôle activé.
Les rôles médiateurs du craving et de l’alimentation en conscience
Les rôles de deux facteurs médiateurs potentiels entre la restriction alimentaire et les choix caloriques étaient également étudiés :
- le rôle intermédiaire potentiel de la tendance au craving, ces envies irrépressibles de consommer certains aliments, souvent présentes chez les mangeurs restreints,
- le rôle médiateur potentiel de l’alimentation en conscience, cette tendance à l’écoute sans jugement de ses sensations physiques et émotionnelles au cours de l’acte alimentaire.
Système chaud ou froid : des effets opposés sur la prise alimentaire
Les chercheurs montrent des effets opposés de la restriction alimentaire sur la sélection calorique selon le contexte induit (Figure) :
- Lorsque le système froid était activé (épreuve des menus à composer sur ordinateur), le degré de restriction alimentaire du participant était associé à des choix caloriques moins élevés ; la tendance à une alimentation consciente ressortait comme un facteur médiateur significatif.
- Au contraire, lorsque le système chaud était activé, le degré de restriction alimentaire allait de pair des choix de snacks plus caloriques ; la tendance au craving ressortait alors comme un facteur médiateur significatif dans cette relation.
Autrement dit, chez les individus avec un plus haut niveau de restriction alimentaire, l’activation du système froid conduit vers des choix alimentaires « plus sains » alors que l’activation du système chaud conduit vers des choix plus caloriques.
Sur la base de ces résultats, les chercheurs envisagent des stratégies permettant de faciliter l’activation du système froid des "mangeurs restreints" (nudges environnementaux, développement de l’alimentation de pleine conscience …) tout en limitant les situations de choix alimentaires propices à l’activation du système chaud.