Février 2024
Selon certaines théories cherchant à expliquer l’épidémie d’obésité, des caractéristiques de l’alimentation actuelle, telles que sa densité énergétique ou son degré de transformation, la rendraient plus attrayante et conduiraient à la surconsommation alimentaire. Toutefois, cette hypothèse n’a pas été rigoureusement testée jusqu’ici. Constatant cette lacune, l’équipe de Peter Rogers de l’Université de Bristol au Royaume-Uni a imaginé une étude virtuelle visant à caractériser certains déterminants de notre attrait pour les aliments.
Les chercheurs ont ainsi testé l’effet de trois facteurs suspectés de moduler l’appréciation (liking) et la satisfaction attendue (reward) pour des aliments :
- (1) la densité énergétique,
- (2) le degré de transformation (selon la classification NOVA [1] ) et
- (3) l’équilibre du ratio glucides/lipides des aliments.
Pour cela, 224 participants (140 femmes et 84 hommes, 35 ans en moyenne) ont été aléatoirement répartis en trois groupes exposés à des images d’aliments variant selon l’un de ces trois facteurs (ex : groupe 1 exposés à des images d’aliments variant en termes de densité énergétique, etc.). Pour chaque aliment, les participants devaient imaginer goûter une bouchée de l’aliment puis noter sur une échelle allant de 0 à 100 leur degré d’appréciation (liking) et leur degré de désir pour l’aliment (cette dernière mesure étant ici utilisée pour rendre compte de la satisfaction attendue, ou reward).
Le rôle avantageux d’un ratio glucides/lipides équilibré
Parmi les trois facteurs testés, seul le rôle de l’équilibre du ratio glucides/lipides (G/L) des aliments a été confirmé : conformément à l’hypothèse des chercheurs, les aliments présentant un ratio G/L équilibré (c’est-à-dire contenant autant de calories provenant des glucides que des lipides) étaient à la fois plus appréciés et laissaient présager davantage de satisfaction que les aliments uniquement riches en glucides ou en lipides. Mais comment expliquer que ces aliments « mixtes » génèrent plus de désir et satisfaction ? Première hypothèse avancée, inspirée des travaux d’une autre équipe [2] : les glucides et les lipides utiliseraient des voies distinctes pour communiquer leur valeur nutritive au système nerveux central, avec un effet additionnel sur la satisfaction ressentie (reward).
Mais les chercheurs formulent leur propre hypothèse : pour eux, les aliments « mixtes » contenant glucides et lipides (versus lipides ou glucides seulement) constitueraient un avantage pour l’organisme. Les capacités de digestion, métabolisation, absorptionmétaboliques seraient moins facilement saturées qu’en présence d’un seul macronutriment qui apporterait autant de calories. En outre, à calories égales, la satiété [3] générée par l’apport conjoint de deux macronutriments serait moindre que celle issue d’un seul macronutriment, conduisant à un rapport énergie/satiété plus élevé. Or un tel rapport serait davantage recherché car plus avantageux d’un point de vue biologique pour satisfaire les besoins énergétiques tout en limitant la perte de vigilance liée à l’état de satiété.
Densité énergétique et degré de transformation : des hypothèses non vérifiées
Quant à la densité énergétique et au degré de transformation, ils n’allaient pas nécessairement de pair avec une augmentation de l’appréciation et de la satisfaction attendue des aliments : certes, les aliments les plus denses énergétiquement obtenaient les scores les plus élevés en termes de plaisir et de satisfaction, mais les aliments les moins denses arrivaient en seconde position, suivis des aliments moyennement denses. De même, les aliments « ultra-transformés » (groupe 4 de la classification NOVA) obtenaient de moins bons scores que les aliments transformés (groupe 3), voire que les aliments non transformés (groupe 1) dans certaines des analyses. Pour les chercheurs, ces résultats suggèrent que ni la densité énergétique, ni le degré de transformation ne permettrait de prédire « l’hyper palatabilité » des aliments, contrairement à ce qui est régulièrement avancé.
Les graphes en bas représentent l’hypothèse de départ des chercheurs, confirmée uniquement pour le ratio glucides/lipides.
Fibres et flaveur impliquées
Enfin, les effets de deux facteurs supplémentaires ont été explorés dans des analyses complémentaires : d’une part, l’intensité de la flaveur [4] de l’aliment et d’autre part, sa teneur en fibres. Les résultats montrent que l’intensité de la flaveur constitue un facteur prédictif de l’appréciation et de la satisfaction attendue d’un aliment, en grande partie sous l’effet des saveurs sucrées et salées, mais pas seulement. Quant à la teneur en fibres, elle était inversement associée à l’appréciation et à la satisfaction attendue. Les chercheurs interprètent ce dernier résultat en termes de rapport énergie/satiété défavorable pour les aliments riches en fibres, où l’effet satiétogène des fibres prend le pas sur l’apport calorique de l’aliment.
Finalement, trois facteurs ressortaient comme associés au pouvoir hédonique et de satisfaction des aliments : un ratio glucides/lipides équilibré, un faible apport en fibres, et l’intensité des flaveurs, expliquant à eux trois 56 % et 43 %, respectivement, de la variabilité dans l’appréciation et la satisfaction attendue des aliments.
Les chercheurs envisagent une nouvelle analyse des données en tenant compte des caractéristiques individuelles des sujets en termes d’IMC, de genre, d’activité physique, etc. Ils appellent également de nouvelles études évaluant le pouvoir hédonique et de satisfaction des aliments en situation de réelle de dégustation (versus de simples images ici) et des études permettant d’approfondir la notion de rapport énergie/satiété.
[1] Monteiro CA et al. The UN Decade of Nutrition, the NOVA food classification and the trouble with ultra-processing. Public Health Nutr. 2018 Jan;21(1):5-17. doi: 10.1017/S1368980017000234.
[2] DiFeliceantonio et al. Supra-Additive Effects of Combining Fat and Carbohydrate on Food Reward. Cell Metab. 2018 Jul 3;28(1):33-44.e3. doi: 10.1016/j.cmet.2018.05.018.
[3] au sens large ici, c’est à dire incluant à la fois la sensation de rassasiement se développant au cours du repas et conduisant à l’arrêt de la prise alimentaire, et la sensation de satiété post-repas inhibant toute nouvelle prise alimentaire jusqu’au retour de la faim.
[4] La flaveur d’un aliment est la résultante de la combinaison de ces différentes saveurs et odeurs.