Septembre 2023
Passionnés folkloriques ou influenceurs hors médias ? Quel rôle jouent véritablement les Confréries dédiées aux spécialités et savoir-faire gastronomiques ? Pour en savoir plus Cultures Sucre a enquêté sur des initiatives plus tendance qu’il n’y paraît.
Quels ressorts poussent des personnes parfaitement ancrées dans leur époque à revêtir de longues toges frappées de médailles symboliques et d’étranges coiffes inspiration médiévale pour honorer les dragées, tartes au sucre et autres pommes d’amour… La passion ? La condition est certes nécessaire mais l’explication insuffisante au regard du travail accompli par ces associations gastronomiques qui n’ont rien de sociétés secrètes. La preuve, les Grands Maîtres ici sollicités se mettent à table à visage découvert... et avec gourmandise. « Les confréries telles que la nôtre ont pour mission de défendre un produit ou un savoir-faire intimement liés à un terroir », affirme Jacques Bel, Grand Maître de la Confrérie du sucre d’orge des religieuses de Moret-sur-Loing. La dimension folklorique développée à travers les costumes et les rituels sont un levier de visibilité très efficace pour promouvoir un patrimoine et favoriser sa transmission. »
Il est vrai que les consœurs et confrères ne ménagent pas leurs efforts pour remettre au goût du jour des spécialités tombées en désuétude, faire revivre des recettes oubliées ou encore s’assurer que les fabricants les réalisent dans les règles de l’art. « Tout au long de l’année, nous nous mettons en grande tenue pour participer à des manifestations, intervenir en milieu scolaire et périscolaire, diffuser la recette authentique auprès des pâtissiers amateurs et professionnels, répondre aux sollicitations des médias... », explique Patrick Krauss, Grand Maître de la Confrérie de la galette à suc’ et du gâteau mollet des Ardennes. L’organisation des « chapitres » est un temps fort de la vie d’une confrérie qui, à l’occasion de ces rassemblements, invite d’autres confréries à se réunir autour de rituels aussi conviviaux que bien ordonnés : cérémonies et hymnes à la gloire du produit, partage d’un bon repas et intronisation de nouveaux membres que l’on adoube avec un épi de blé ou un sceptre en forme de bonbon.
Un levier de développement économique
Comme le souligne le sociologue de l’alimentation Éric Birlouez, à qui l’on doit notamment une Histoire de l’alimentation des Français, du paléolithique au Covid 19 (éditions Ouest France, 2022), « les confréries gastronomiques sont une spécificité française [1] qui témoigne de la force du lien à l’alimentation et au territoire. La défense des produits locaux et authentiques est une manière d’opposer la tradition à l’uniformisation de l’alimentation. À l’heure où beaucoup de consommateurs se détournent des produits standardisés, les valeurs prônées par les confréries s’inscrivent totalement dans l’air du temps. »
Il est vrai qu’au-delà de leur dimension historique, les spécialités mises en avant par les confréries sont souvent porteuses d’enjeux qui donnent un sens à leur existence. Par exemple, la gaufrette mâconnaise, tombée en désuétude dans les années 1950, a été sortie de sa torpeur quarante ans plus tard, lorsque sa ville d’origine s’est lancée dans une politique de développement du tourisme. Sous l’impulsion du pâtissier Claude Poissonnet, cette spécialité sucrée a été élevée au rang d’emblème gourmand aux côtés des prestigieux vins locaux. Comme l’explique le Grand Maître de la Confrérie de la gaufrette mâconnaise « les pâtissiers, restaurateurs et fabricants se sont mis à en faire, et un véritable nid économique s’est développé autour de la gaufrette. »
Dans une démarche similaire, la dragée de Verdun a été promue ambassadrice de la ville, et le nougat de Tours est venu combler un espace gourmand laissé en jachère. « Les touristes s’étonnaient de ne pas avoir de spécialité sucrée à rapporter de leur séjour en Touraine, pourtant réputée pour sa gastronomie, raconte Jean-Marie Soignier, Grand Maître de la Confrérie du nougat de Tours. Cette ancienne recette de gâteau de voyage, capable de se conserver jusqu’à dix jours, offrait le profil idéal. Nous avons incité les pâtissiers à se l’approprier, et la Confrérie en assure la promotion. » Ainsi, bien que peu connu, l’impact économique de l’action des confréries peut-être bien réel. Comme le rappelle l’enseignante-chercheuse spécialisée dans la gastronomie Nathalie Louisgrand, les confréries ont joué un rôle actif dans l’inscription du « repas gastronomique des Français » au patrimoine immatériel de l’Humanité [2] En retour, l’Unesco a mentionné les confréries parmi les critères distinctifs de la relation des Français à leur gastronomie.
Des acteurs de la vie des territoires
Direction Pithiviers, dans le Loiret. Ici, la Confrérie de l’authentique Pithiviers, constituée en 1983, s’est donnée pour mission de remettre de l’ordre dans une recette qui, selon ses défenseurs, « tendait à se galvauder ». Après avoir élaboré une charte de confection dans les règles de l’art, elle a créé son propre label. Les artisans s’engageant à la respecter peuvent l’afficher sur leur vitrine. Puis, elle a œuvré pour obtenir le label officiel « Appellation d’origine protégée » (AOP), qui est un puissant levier de valorisation. (Lire notre article sur les labels d’origine et de qualité) Comme l’explique son Grand Maître Jean-Philippe Liger, « le label prend en compte notre démarche d’approvisionnement local, y compris pour l’amande qui est un ingrédient majeur. Cinquante hectares ont été mobilisés pour planter des amandiers dont la première récolte a lieu cette année, en 2023. Au total, cette dynamique contribue à la diversification des cultures sur notre territoire, fédère les habitants, les artisans et les consommateurs, et tire les professionnels vers le haut... »
À Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne), la recette du sucre d’orge local a été mise au point en 1638 par des religieuses. Lorsque, dans les années 1970, la congrégation en a cédé la recette à un confiseur de la ville, les religieuses ont stipulé sur le contrat que la fabrication devait rester sur la commune. Et la clause fait toujours loi. En 2011, un chocolatier de Nemours a, à son tour, acquis le procédé. Or, malgré la proximité entre les deux villes, il a été obligé de créer à Moret un atelier afin de ne pas « délocaliser » la production. « C’est un exemple d’alliance entre un territoire et un produit sur laquelle nous veillons avec attention », souligne Jacques Bel, dont la confrérie a également créé un musée dédié.
Des atouts pour devenir « tendance »
La vocation patrimoniale peut s’exprimer dans les registres les plus étonnants. Ainsi, en Belgique, la Confrérie de la tarte au sucre de Waterloo a été créée autant pour rappeler l’histoire sucrière locale que pour servir d’autres objectifs. D’une part, faire oublier la bataille qui colle au nom de la ville ; d’autre part, rendre hommage à la corporation des ouvriers paveurs qui font la fierté de la région, avec notamment à leur actif le revêtement de la Place rouge à Moscou...
Afin de développer leur action, les confréries gourmandes s’appuient sur leur popularité auprès du grand public, mais aussi sur des personnalités influentes. L’intronisation d’élus et de décideurs, de célébrités du spectacle et des médias permet de s’assurer des soutiens pour faire avancer la cause qu’elles défendent. Reste qu’en dépit de leur capital de sympathie et de leur incontestable utilité, les confréries ont du mal à recruter de jeunes membres pour prendre la relève. « Ces associations mériteraient d’engager une réflexion pour rajeunir leur image, mais elles ne manquent pas d’arguments pour y parvenir, note Éric Birlouez. La confraternité, le besoin d’agir ensemble, la réunion autour de valeurs et de symboles répondent aux attentes de sociabilité qui traversent la société. Le Moyen Âge, dont s’inspire le folklore des confréries, est lui-même un ingrédient qui attire aujourd’hui l’attention... » Autant de motivations qui font des confréries et de leur engagement en faveur d’une alimentation authentique des univers en parfaite harmonie avec leur époque.
1. La tradition des confréries gastronomiques est aussi présente dans le nord de l’Europe, notamment en Belgique.
2. Source : The Conversation